Here we are - the last post (sniff...). Une nouvelle fois, un grand merci à tous pour votre fidelité, c'était vraiment génial de pouvoir un peu partager mon voyage via ce blog. Gros bisous à tous, en souhaitant que tous vos rêves les plus dingues se réalisent!
Manu
Cela fait près de trois semaines, depuis un dernier message tapé sous la pluie battante au moment de mon départ de Kuala Lumpur, que je n’ai pas touché à ce blog. Pour une raison que j’ai du mal à expliquer, j’ai laissé le site intact, un peu comme si je refusais d’y mettre fin, comme si je refoulais ce voyage dont j’étais à peine rentré. Même la préparation de mon diaporama de photos me semble être une tâche insurmontable, que j’ai d’ailleurs jusqu’ici laissé inachevée.
Mes premiers jours à Paris puis à Bruxelles furent semblables à ceux de mon retour d’Angleterre il y a quatre ans, l’exotisme en plus. On est de retour un peu comme un enfant prodigue, avec des milliers d’images dans la tête, fier de son voyage, et heureux de retrouver la femme qu’on aime, sa famille et ses amis. Paris a toujours été une ville magnifique, mais on semble ne s’en rendre compte que maintenant.
Puis vient rapidement une seconde étape, au cours de laquelle on réalise qu’en Europe, le temps n’a pas la même valeur, et qu’ici presque rien n’a changé en quatre mois. Les souvenirs de voyage se transforment en douce mélancolie, sans pour autant que l’on ait envie de repartir, ou en tout cas pas maintenant ; on renoue avec la réalité de la vie quotidienne, avec un plaisir mêlé de nostalgie. Je n’aime pas l’expression « retour sur terre », employée par les voyageurs du monde entier. Effectivement, on quitte un monde pour un autre, mais quant à savoir si le monde réel est ici ou là-bas, et si le vrai « retour » consiste à retrouver l’Europe ou la chaleur de Bangkok, je préfère m’abstenir.
On se sent aussi investi de ce que j’appellerais un devoir de mémoire, si le terme n’était pas aussi connoté. On a tant vu et l’on va tant oublier. Que restera-t-il du sourire candide des laotiens dans les campagnes, du brouhaha incessant des marchés de Saigon ou de mon baptême par les tribus montagnardes ? Tout revient en fait à la même question : où vont ces moments ?
J’ai aperçu ces paysages gravés par les hommes, plantations de thé sur les hauts plateaux malais et montagnes taillées par les rizières dans le nord du Vietnam. J’ai visité ces tribus millénaires, vivant à l’écart de toute modernité, celles qui n’ont rien à vendre mais rien à acheter non plus. J’ai franchi ces rivières du nord de la Thaïlande, gravi le Mont Kinabalu à Bornéo et découvert des merveilles sous-marines dont je ne soupçonnais pas l’existence. Aux quatre coins de la Malaisie, je me suis fait témoin du multiculturalisme à l’état pur, celui qui ferait pâlir d’envie nos sociétés occidentales. J’ai vu la splendeur de ces civilisations enfouies, qui ont laissé comme témoignage les temples d’Angkor et ces autres ruines dissimulées en Asie. J’ai goûté à des saveurs inouïes, ces aliments dont on ne sait jamais le nom et qui éveillent les sens. J’ai vu la nature humaine se déchirer à la prison de Tuol Sleng et dans les Killing Fields, pour mieux la voir renaître dans les campagnes cambodgiennes et au sud du Laos. En quatre mois de voyage, j’ai parfois l’impression que plus d’inconnus m’auront souri que durant les vingt-six années de ma vie.
Ce qui différencie le voyageur du touriste, c’est cette aptitude à se détacher du besoin matériel et à faire de son quotidien de routard une attraction en soi. On finit par les aimer, ces bus décrépis et leurs crevaisons, ces salles de bains sans miroirs et leurs douches froides, cette moiteur tropicale qui s’ajoute à l’inconfort quasi permanent. Au bout d’un moment, ce que l’on recherche, c’est davantage une expérience unique – l’ouverture d’une nouvelle piste de trek, la découverte de la faune sous-marine, une discussion avec un ancien militaire vietnamien ou le partage d’un pique-nique avec une famille, lorsque le bus est en panne – que la visite de tel ou tel site touristique.
Dès lors, de chasseur de souvenirs, on se transforme en collectionneur d’expériences. Et l’on prend vis-à-vis la société de consommation un recul que l’on n’avait jamais pris auparavant. De touriste, on devient voyageur, et l’on se voit dans un monde si beau, à la fois si irréel et pourtant criant de vérité, qu’il faut parfois se forcer à réaliser que l’on est dans un rêve ou une réalité temporaire.
Il y a dans ce plaisir quelque chose de rousseauiste, lié à la re-découverte de la nature humaine, non corrompue par les images et les messages subliminaux que l’on nous bombarde en Europe. Car si la société de consommation existe bien en Asie, elle n’existe que dans les grandes villes, et son niveau de développement est à des années-lumière de que l’on peut voir en Europe. Là-bas, les liens sociaux et familiaux sont encore presque intacts, et l’individu s’exprime encore en grande partie par le collectif. Le règne du consommateur-roi n’est pas encore arrivé.
Mon voyage ne m’a certainement pas poussé vers la gauche de l’échiquier politique ; en revanche, il m’a mené à juger complètement obsolète une partie des fondations de la société libérale moderne. Quel est ce monde où l’on force constamment les hommes à acheter, où l’argent est érigé en tant que fin en soi, et où la publicité joue sur nos plus bas ressorts psychologiques pour nous souffler à l’oreille que si l’on ne consomme pas, on n’est rien ? Comment le Président d’un grand pays a-t-il pu se faire élire sur la devise « travailler plus pour gagner plus », alors que le besoin de plus travailler devrait avant tout répondre au plaisir et à la satisfaction que l’on y prend ? D’une certaine manière, je comprends à présent sous un jour nouveau les attaques d’un Mitterrand contre « l'argent qui corrompt, l'argent qui achète, l'argent qui écrase, l'argent qui tue, l'argent qui ruine, et l'argent qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes ! ».
On comprendra à la lecture de ces lignes que je ne puisse que recommander un tel voyage à mes lecteurs. Ce sera peut-être le bonheur simple de partager le thé avec une tribu perchée au milieu des montagnes ; ce sera peut-être les premières lueurs du soleil dévoilant la plage, lorsque l’on a passé une nuit blanche à refaire le monde ; ce sera peut-être un face-à-face avec un temple sur le site d’Angkor, ou une plongée dans la folie des mégalopoles asiatiques, mais une chose est sûre : vous n’en reviendrez pas indemne. A la différence des souvenirs, les expériences, elles, restent, puisqu’elles transforment – et en ce sens, profiter des dernières nourritures terrestres s’avère finalement essentiel à la construction de soi.
Mes premiers jours à Paris puis à Bruxelles furent semblables à ceux de mon retour d’Angleterre il y a quatre ans, l’exotisme en plus. On est de retour un peu comme un enfant prodigue, avec des milliers d’images dans la tête, fier de son voyage, et heureux de retrouver la femme qu’on aime, sa famille et ses amis. Paris a toujours été une ville magnifique, mais on semble ne s’en rendre compte que maintenant.
Puis vient rapidement une seconde étape, au cours de laquelle on réalise qu’en Europe, le temps n’a pas la même valeur, et qu’ici presque rien n’a changé en quatre mois. Les souvenirs de voyage se transforment en douce mélancolie, sans pour autant que l’on ait envie de repartir, ou en tout cas pas maintenant ; on renoue avec la réalité de la vie quotidienne, avec un plaisir mêlé de nostalgie. Je n’aime pas l’expression « retour sur terre », employée par les voyageurs du monde entier. Effectivement, on quitte un monde pour un autre, mais quant à savoir si le monde réel est ici ou là-bas, et si le vrai « retour » consiste à retrouver l’Europe ou la chaleur de Bangkok, je préfère m’abstenir.
On se sent aussi investi de ce que j’appellerais un devoir de mémoire, si le terme n’était pas aussi connoté. On a tant vu et l’on va tant oublier. Que restera-t-il du sourire candide des laotiens dans les campagnes, du brouhaha incessant des marchés de Saigon ou de mon baptême par les tribus montagnardes ? Tout revient en fait à la même question : où vont ces moments ?
J’ai aperçu ces paysages gravés par les hommes, plantations de thé sur les hauts plateaux malais et montagnes taillées par les rizières dans le nord du Vietnam. J’ai visité ces tribus millénaires, vivant à l’écart de toute modernité, celles qui n’ont rien à vendre mais rien à acheter non plus. J’ai franchi ces rivières du nord de la Thaïlande, gravi le Mont Kinabalu à Bornéo et découvert des merveilles sous-marines dont je ne soupçonnais pas l’existence. Aux quatre coins de la Malaisie, je me suis fait témoin du multiculturalisme à l’état pur, celui qui ferait pâlir d’envie nos sociétés occidentales. J’ai vu la splendeur de ces civilisations enfouies, qui ont laissé comme témoignage les temples d’Angkor et ces autres ruines dissimulées en Asie. J’ai goûté à des saveurs inouïes, ces aliments dont on ne sait jamais le nom et qui éveillent les sens. J’ai vu la nature humaine se déchirer à la prison de Tuol Sleng et dans les Killing Fields, pour mieux la voir renaître dans les campagnes cambodgiennes et au sud du Laos. En quatre mois de voyage, j’ai parfois l’impression que plus d’inconnus m’auront souri que durant les vingt-six années de ma vie.
Ce qui différencie le voyageur du touriste, c’est cette aptitude à se détacher du besoin matériel et à faire de son quotidien de routard une attraction en soi. On finit par les aimer, ces bus décrépis et leurs crevaisons, ces salles de bains sans miroirs et leurs douches froides, cette moiteur tropicale qui s’ajoute à l’inconfort quasi permanent. Au bout d’un moment, ce que l’on recherche, c’est davantage une expérience unique – l’ouverture d’une nouvelle piste de trek, la découverte de la faune sous-marine, une discussion avec un ancien militaire vietnamien ou le partage d’un pique-nique avec une famille, lorsque le bus est en panne – que la visite de tel ou tel site touristique.
Dès lors, de chasseur de souvenirs, on se transforme en collectionneur d’expériences. Et l’on prend vis-à-vis la société de consommation un recul que l’on n’avait jamais pris auparavant. De touriste, on devient voyageur, et l’on se voit dans un monde si beau, à la fois si irréel et pourtant criant de vérité, qu’il faut parfois se forcer à réaliser que l’on est dans un rêve ou une réalité temporaire.
Il y a dans ce plaisir quelque chose de rousseauiste, lié à la re-découverte de la nature humaine, non corrompue par les images et les messages subliminaux que l’on nous bombarde en Europe. Car si la société de consommation existe bien en Asie, elle n’existe que dans les grandes villes, et son niveau de développement est à des années-lumière de que l’on peut voir en Europe. Là-bas, les liens sociaux et familiaux sont encore presque intacts, et l’individu s’exprime encore en grande partie par le collectif. Le règne du consommateur-roi n’est pas encore arrivé.
Mon voyage ne m’a certainement pas poussé vers la gauche de l’échiquier politique ; en revanche, il m’a mené à juger complètement obsolète une partie des fondations de la société libérale moderne. Quel est ce monde où l’on force constamment les hommes à acheter, où l’argent est érigé en tant que fin en soi, et où la publicité joue sur nos plus bas ressorts psychologiques pour nous souffler à l’oreille que si l’on ne consomme pas, on n’est rien ? Comment le Président d’un grand pays a-t-il pu se faire élire sur la devise « travailler plus pour gagner plus », alors que le besoin de plus travailler devrait avant tout répondre au plaisir et à la satisfaction que l’on y prend ? D’une certaine manière, je comprends à présent sous un jour nouveau les attaques d’un Mitterrand contre « l'argent qui corrompt, l'argent qui achète, l'argent qui écrase, l'argent qui tue, l'argent qui ruine, et l'argent qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes ! ».
On comprendra à la lecture de ces lignes que je ne puisse que recommander un tel voyage à mes lecteurs. Ce sera peut-être le bonheur simple de partager le thé avec une tribu perchée au milieu des montagnes ; ce sera peut-être les premières lueurs du soleil dévoilant la plage, lorsque l’on a passé une nuit blanche à refaire le monde ; ce sera peut-être un face-à-face avec un temple sur le site d’Angkor, ou une plongée dans la folie des mégalopoles asiatiques, mais une chose est sûre : vous n’en reviendrez pas indemne. A la différence des souvenirs, les expériences, elles, restent, puisqu’elles transforment – et en ce sens, profiter des dernières nourritures terrestres s’avère finalement essentiel à la construction de soi.
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